Pourquoi acheter à plusieurs ?
Que l’on soit un couple, des amis proches ou des membres d’une même famille, acheter un bien immobilier à plusieurs – autrement dit, en indivision – peut sembler une solution séduisante. Partager les frais, augmenter sa capacité d’emprunt, accéder à un bien plus grand… les avantages sont nombreux. Mais attention, cette forme d’acquisition n’est pas sans embûches.
Avant de s’engager, il est crucial de comprendre les implications juridiques, fiscales et surtout humaines de l’indivision. Je dis souvent à mes lecteurs : « L’immobilier, ce n’est pas qu’un placement, c’est aussi (et parfois surtout) une affaire d’humains. » Et acheter en indivision, c’est un peu comme se lancer dans un mini-mariage sans alliance.
Indivision : de quoi parle-t-on exactement ?
Dans une indivision, plusieurs personnes – les indivisaires – sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacun à hauteur de sa quote-part. Par exemple, si vous achetez à deux, l’un peut avoir 60 % et l’autre 40 %, ou bien une répartition 50/50. Cela dépend de ce qui est convenu lors de l’achat.
En l’absence de précisions dans l’acte notarié, la répartition est considérée comme égale.
Ce régime peut être choisi volontairement – lors d’un achat – ou imposé, par exemple à la suite d’une succession. Dans tous les cas, il présente des spécificités qu’il vaut mieux avoir en tête pour éviter les mauvaises surprises.
Ce que le crédit immobilier change dans la donne
Quand on achète en indivision avec un prêt immobilier, les choses se corsent légèrement. La banque va regarder les dossiers de tous les emprunteurs, et surtout, elle va généralement exiger que chacun soit solidairement responsable du remboursement du crédit.
Concrètement ? Même si vous n’êtes propriétaire que de 30 % du bien, vous pouvez être redevable de 100 % du prêt en cas de défaillance de votre co-indivisaire. Ça pique, je sais. Il est donc crucial d’avoir une confiance absolue dans ses partenaires… Ou de se protéger juridiquement (j’y reviens dans une minute).
Les règles d’or avant de se lancer
Voici les règles de base que je recommande toujours à mes clients (et que j’ai moi-même suivies avec ma sœur lors de l’achat d’un petit immeuble à rénover à Nantes). Cela nous a évité bien des discussions houleuses par la suite :
- Rédiger une convention d’indivision : ce n’est pas obligatoire, mais vivement conseillé. Ce document fixe les règles du jeu : usage du bien, répartition des charges, modalités de sortie d’un indivisaire, etc.
- Déterminer clairement les quotes-parts : elles doivent refléter les apports réels (en fonds propres et en emprunt). Ces informations seront inscrites dans l’acte d’achat.
- Prévoir une clause de rachat prioritaire : en cas de départ d’un co-acquéreur, les autres indivisaires peuvent avoir un droit de préemption sur sa part. Cela permet d’éviter de se retrouver en indivision avec un inconnu.
- Penser aux assurances : chaque emprunteur doit être couvert pour sa part du crédit. On peut même envisager que chacun soit assuré à 100 %, surtout si les finances d’un des coacquéreurs sont plus fragiles.
Et si l’un veut partir ?
C’est LA question qui fait peur. Car en indivision, nul ne peut être contraint d’y rester indéfiniment. C’est écrit noir sur blanc dans le code civil : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision. »
Autrement dit, à tout moment, un coacquéreur peut demander la vente du bien ou se faire racheter sa part. Et si les autres ne veulent pas ou ne peuvent pas racheter ? Bonjour les tensions… et parfois, bonjour le tribunal.
D’où l’utilité de la fameuse convention d’indivision qui peut, par exemple, bloquer la vente pendant 5 ans (durée maximale légale), sauf cas particulier.
Scénario concret : l’histoire de Claire et Julien
Claire et Julien, deux amis d’école d’ingé, ont décidé d’acheter ensemble un T3 à Lyon pour y vivre et le transformer progressivement en colocation. Claire avait 40 % d’apport, Julien 60 %. Ils ont signé un prêt commun, et adopté une convention d’indivision en bonne et due forme.
Trois ans plus tard, Julien reçoit une offre de job à Singapour et souhaite revendre sa part. Grâce à leur convention, Claire bénéficie d’un droit de rachat prioritaire, mais elle n’a pas assez de liquidités. Ils actent alors ensemble une cession à un tiers (choisi par Claire, pour éviter toute mauvaise surprise).
Conclusion : tout s’est bien passé car il y avait un cadre clair. Sans ce document, des tensions auraient pu naître… et sans doute se transformer en cauchemar immobilier.
Et pour les couples non mariés ?
Sujet crucial. Les couples non mariés (concubins ou pacsés) sont très nombreux à acheter ensemble. Pourtant, ils ne bénéficient pas des mêmes protections juridiques que les couples mariés.
En cas de séparation, sans convention d’indivision, chacun reste propriétaire de sa quote-part… mais gérer le rachat ou la vente peut virer au casse-tête. Pire encore, si l’un venait à décéder, le survivant n’hérite pas automatiquement de sa part (sauf disposition testamentaire favorable).
Astuce que je recommande souvent :
- Penser à inclure une clause de rachat ou d’attribution préférentielle dans la convention d’indivision.
- Prévoir une assurance-décès croisée (chacun assure l’autre pour pouvoir racheter sa part en cas de décès).
- Éventuellement, rédiger un testament, surtout si le couple n’est pas pacsé.
Fiscalité et indivision : ce qu’il ne faut pas oublier
Chaque indivisaire est imposé à hauteur de sa quote-part. Cela concerne :
- La taxe foncière : même si un seul la reçoit, elle doit être partagée entre les coacquéreurs.
- Les revenus locatifs : si le bien est mis en location, chaque indivisaire déclare les revenus au prorata de sa part.
- La plus-value à la revente : calculée séparément pour chacun selon sa base d’imposition, sa durée de détention, etc.
Et en cas de rachat de part ? Attention : si la valeur du bien a augmenté, il peut y avoir fiscalité sur la plus-value pour le cédant. Mieux vaut anticiper ça dès le départ.
L’alternative : la SCI
La Société Civile Immobilière peut, dans certains cas, être une bonne alternative à l’indivision. Elle permet une gestion plus souple, notamment si le projet est locatif ou s’il implique plusieurs personnes aux profils très différents.
Mais attention : la SCI implique plus de formalités, un peu de comptabilité, et une certaine rigueur administrative. Elle nécessite aussi une stratégie patrimoniale claire. Elle est selon moi plus adaptée aux projets familiaux de long terme (par exemple, la gestion d’un patrimoine locatif transmis aux enfants).
Le mot d’Antoine
J’ai vu des couples se déchirer pour une cuisine à 10 000 € mal répartie, et des fratries ne plus se parler pour une indivision non réglée après 20 ans de paix apparente. À l’inverse, j’ai aussi accompagné des amis qui ont monté ensemble un projet locatif en indivision, loué à une colocation étudiante, et qui en tirent encore aujourd’hui des revenus confortables et une belle complicité.
Tout dépend de la préparation, de la communication, et de l’accompagnement juridique (et bancaire). Ne négligez jamais les aspects légaux de l’achat en indivision. Ils peuvent sembler secondaires au début – surtout quand l’enthousiasme est total – mais ce sont eux qui vous sauveront si le vent tourne.
Et vous, avez-vous déjà envisagé l’indivision ? Rêvé d’une maison à la campagne avec des amis ? Ou vécu un conflit de succession compliqué ? Partagez votre expérience dans les commentaires, c’est toujours enrichissant d’apprendre les uns des autres.
À très bientôt sur e-immo.net,
Antoine